Des sources du langage au geste créateur

« Actuellement, l’homme vit dans des conditions non harmonieuses, pleines de confusion. Mais il sait ceci : de même que le monde est issu du chaos, de même de son être intérieur encore chaotique sortira un jour l’harmonie“, Rudolf Steiner

Ecole Perceval
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Si nous nous imprégnons de ces paroles, alors nous pouvons dire que l’Eurythmie, née en 1912, s’est incarnée à point nommé et que par cet acte Rudolf Steiner donnait à l’humanité un moyen de sauvegarde.
L’EURYTHMIE, éthymologiquement (en grec) le bon rythme, ce qui favorise l’harmonie, permet à notre être physique, dans lequel réside la plus grande sagesse, de se relier à notre être psycho-spirituel. Porté par ces deux antagonismes et à la faveur de son activité rythmique, l’homme peut affirmer son individualité de façon créative et artistique.
Nous allons voir comment, en soulevant un des nombreux voiles des mystères de l’eurythmie.

En tout premier lieu, essayons de définir ensemble ce qu’est le mouvement.
Le mouvement, c’est sans doute cette partie importante de notre être qui nous permet de ressentir que nous sommes vivants. En effet, dans tout germe de vie, même imperceptible, il y a mouvement : un fœtus de quelques heures, un bourgeon à peine éclos, un frémissement sur l’eau…
Or, quelle disponibilité réservons-nous à l’écoute de ce « vivant“ en nous, à cette mobilité en nous ? Quelle qualité de ressentir prêtons-nous à cette manifestation qui fourmille en nous, nous anime, quelle ouverture à ce besoin d’être ?

Pourtant chacun de nous parle avec son corps, avec ses gestes, mais avec des mouvements souvent incontrôlés ou automatisés.

L’art de l’Eurythmie peut nous sortir de cette conscience quasi-endormie du mouvement, nous permettre d’affiner et d’affirmer notre relation « psyché-soma ». Il propose à chacun de se mettre en quête de ses profondeurs ; de prendre en compte ses actes et ses mouvements pour les re-connaître  (faire naître à nouveau) ; de traverser les différentes couches de sa psyché et de mettre en adéquation son monde intérieur et le monde autour de soi. Ces différentes couches de l’âme, C.J. Jung les appelait : l’archétypal, le personnel et le culturel. L’Eurythmie permet qu’elles soient révélées dans une harmonisation de tout l’être.
D’abord par l’expérience approfondie du mouvement (et qui se relie à l’archétypal en nous) : comment agit et résonne en nous le mouvement d’une vague, le vol d’un oiseau, une feuille qui tombe, un feu qui crépite…Comment s’associer de toute son âme, de tout son corps à ces expériences et leur donner vie par une activité consciente ?
Ensuite par l’expérience approfondie du geste (et qui se relie au personnel en nous) : être capable de s’identifier à ses gestes, de se qualifier à travers eux : timidité, exubérance, autorité, sérénité… Par exemple, les gestes du A et du E en Eurythmie font ressortir de manière frappante notre appartenance à l’une ou à l’autre de ces polarités.

Enfin par l’expérience approfondie de la forme (ce qui se relie au culturel en nous): sommes-nous sensibles aux formes que prennent rencontres et convivialité ? Au cours des saisons et à ses rythmes?

Dans ce sens, l’Eurythmie peut nous ouvrir de nouvelles voies. Elle nous propose de nous familiariser avec la richesse des formes poétiques, leurs rythmes, les sonorités et les images des contes : à travers montagnes, forêts, nuits obscures, châteaux, redécouvrir avec Baudelaire que  » l’homme passe à travers des forêts de symboles“. S’apercevoir que ces formes symboliques résident, latentes, en chacun de nous, à la croisée de nos chemins intérieurs et s’étonner de les voir surgir sous forme chorégraphique, de mettre en chœur (ou en cœur ?) le fruit de cette créativité :

-S’acheminer sur une forme spiralée symbolisant la montée d’un escalier ou la descente dans une grotte.

-Parcourir…
un pentagramme : une étoile
un cercle : le soleil
un carré : une tour, etc…

Dans une grande diversité de formes, retrouver une disponibilité où le particulier rejoint l’universel.
De cette synthèse du mouvement, du geste et de la forme :
Le geste, en tant que révélateur du lyrisme de l’âme,
Le mouvement : en tant qu’élément dynamique et rythmique,
La forme : en tant que révélateur de ce qui nous relie aux autres, au monde, s’élabore un langage nouveau, précurseur du langage lui-même, où l’âme-psyché et le corps rendent visible, dans leur essence : la poésie à travers ses sonorités et ses images ; la musique à travers ses mélodies, ses rythmes et ses modes.

Pour mieux comprendre les fondements de l’Eurythmie dont je viens d’évoquer quelques aspects, il faut les vivre. Or le festival qui s’est déroulé dernièrement à Verrières-le-Buisson fut tout-à-fait exceptionnel dans ses multiples propositions. Ces journées furent très actives du côté des eurythmistes comme de celui du public qui non seulement assista à des prestations mais pratiqua, à son choix, l’Eurythmie poétique ou musicale.
Le Forum du dimanche matin vint confirmer la réussite d’une telle rencontre à travers l’acuité des témoignages. L’une des remarques réitérée et originale concernait l’élément de vie qui émane d’une présentation eurythmique, où le spectateur se sent non seulement touché mais régénéré et incité à une participation plus active dans un échange profond avec les artistes. Dans une telle situation, chacun peut alors œuvrer à élargir sa propre sphère ainsi que la sphère du profane dans laquelle nous baignons habituellement, jusqu’aux sphères créatrices du Verbe.
Ainsi, à travers son souffle, ses forces plastiques pleines de vie, l’Eurythmie nous transmet-elle autre chose que du plaisir et de l’enthousiasme à partir d’une seule contemplation. Elle nous permet de développer de nouvelles capacités pour affronter notre univers souvent instable où la technicité de pointe et le super-développement intellectuel nous acheminent vers l’homme-robot.

L’Eurythmie, au service de l’humanité de demain, devient ainsi un puissant antidote afin que les qualités spirituelles inscrites en chacun de nous ne meurent pas mais se libèrent au contraire dans une créativité libre.

Article rédigé par Dominique Bizieau, artiste eurythmiste et pédagogue
Article publié initialement dans la revue 1.2.3 Soleil de l’APAPS

Mis en ligne le 27 Décembre 2016

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